Industrie
CORDM: La SCOP pionnière en Lorraine
Plus vieille société coopérative de production (Scop) de Lorraine, CORDM a été reprise par 40 salariés-associés en 1982 à Verdun. Spécialisée dans la conception, la fabrication et la réparation de réducteurs, la PME s’appuie aujourd’hui sur 82 personnes et a su s’imposer auprès des plus grands donneurs d’ordre mondiaux. Après quatre décennies d’investissement constant, le site verdunois poursuit ses efforts avec 4,5 millions d’euros engagés entre 2024 et 2025 avec la volonté de gagner en efficacité et de réduire sa facture énergétique.
A l’heure où les créations de SCOP se multiplient en Meuse avec la reprise en juillet dernier de La Meusienne à Ancerville puis celle, toute récente, de Bergère de France à Bar-le-Duc, CORDM fait figure de pionnière, d’exemple à suivre et de guide. «Nous sommes une SCOP installée avec une bonne trésorerie qui nous permet de continuer à investir. C’est la clef de notre succès», confie avec fierté Patrick Gabriel, recruté dans l’atelier comme rectifieur en 1986. Il aura gravi tous les échelons en passant par le bureau des méthodes avant d’occuper le poste de directeur commercial pendant dix ans puis de prendre la tête du conseil d’administration en 2020. La promotion interne fait d’ailleurs partie intégrante des valeurs de cette entreprise qui souhaite offrir des opportunités à ses salariés profitant d’une pyramide des âges favorable. Si le dernier salarié-associé pionnier a fait valoir ses droits à la retraite il y a dix-huit mois, ils sont aujourd’hui 68 associés, auxquels s’ajoutent sept contrats à durée déterminée et sept apprentis, pour une moyenne d’âge de 39 ans. «L’objectif est de garder nos jeunes, de les embaucher et de les faire évoluer. C’est notre ADN.» Et pour y parvenir Patrick Gabriel a décidé de s’engager sur le territoire. Ne comptant aucun client en Meuse, l’entreprise était jusqu’à récemment inconnue des acteurs locaux. Ce n’est plus le cas. Le directeur de la SCOP a ainsi intégré le club RH de Meuse attractivité et le conseil d’administration du lycée professionnel Marguerite de Verdun avec la volonté de valoriser la filière industrielle et d’apporter des solutions de proximité aux jeunes Meusiens. «On est parvenu à développer un cursus complet avec la possibilité de passer un bac pro mais aussi depuis un an le BTS fabrication mécanique qui était seulement proposé à Jarny avec des entreprises industrielles qui sont prêtes à accueillir des jeunes sur notre arrondissement.»
Marque employeur et marque territoire : deux cartes maîtresses
CORDM, comme d’autres entreprises locales, investit dans la formation et le lycée technique dans un parc machines récent. «Si on veut attirer des candidats, on doit leur offrir des opportunités», ajoute celui qui défend bec et ongles sa marque employeur mais aussi la marque territoire. Sa participation au club RH lui aura permis de changer de stratégie. Sur le site internet de CORDM, des contacts utiles pour trouver un logement et une carte interactive de la Meuse sont à disposition. L’enjeu est de lever les freins inhérents à ce territoire rural. Autant de partenariats et d’initiatives qui portent leur fruit avec pour la première fois plusieurs CV d’ingénieurs arrivés sur le bureau du responsable qui est à la recherche d’un chargé d’affaires.
Au sein de cette industrie, si trente-cinq fiches emploi sont recensées, une attention particulière est apportée à la valorisation des compétences et à l’évolution de carrière. «Les opérateurs les plus anciens commencent à ressentir une fatigue physique bien légitime due au rythme des «3X8». Alors pourquoi ne pas les orienter vers d’autres solutions comme un mi-temps dans l’entreprise et un second comme formateur au lycée professionnel voisin? Nous devons tenter de construire de nouveaux chemins qui seraient gagnant-gagnant pour le salarié, mais aussi pour les jeunes qui profiteraient de leur expertise inestimable sur leur territoire.» Voilà pour la vision.
Des orientations stratégiques payantes
Si à l’origine, la SCOP produisait des engrenages pour les mines de fer, l’entreprise a pris un virage stratégique pour se positionner sur le ferroviaire dès 1984. Quarante ans après, ce secteur représente un tiers des 16,2 millions d’euros de chiffre d’affaires. En plus des constructeurs, la PME a su diversifier ses clients avec les exploitants. Les engrenages du TGV Est sont ainsi fabriqués sur le site verdunois qui vient également de remporter un nouveau marché pour la société ferroviaire irlandaise. Fin septembre, la CORDM était présente sur le plus grand salon du ferroviaire, Innotrans, à Berlin. À l’heure où les marchés tendent à baisser en Europe, le salut vient d’autres continents. «Le grand export nous permet de livrer au Kazakhstan, en Chine ou en Corée», explique Patrick Gabriel. Le second tiers du chiffre d’affaires vient du matériel minier et des concasseurs ou tunneliers avec 15 % de cette activité réalisée au Brésil, aux États-Unis ou en Inde. La sidérurgie dont les gros moteurs marins constitue le dernier tiers. Cette diversification a conforté l’essor du site verdunois. Jusqu’en 2008, l’entreprise a profité de l’explosion du marché éolien en livrant des engrenages en Espagne, en Allemagne mais quand la filière s’est écroulée, d’autres marchés ont pris le relai et leur expertise sur l’éolien est désormais utile pour les marchés sur l’éolien en mer qui a le vent en poupe.
En 2019, la direction a décidé de s’orienter vers la réparation des engrenages avec la création d’un nouveau bâtiment dédié et l’aménagement d’un bureau d’études. Depuis la PME s’est doté d’un scanner 3D et a acheté un logiciel avec la volonté d’«aller plus vite et de faire mieux.» Le marché du nucléaire fait partie des nouvelles priorités. Reste à améliorer la sûreté et les procédures avec en ligne de mire la certification ISO 19443. Pour se démarquer, l’entreprise expose seule et non sur le pavillon français au salon mondial du nucléaire civil -WNE. Le prochain aura lieu en novembre 2025.
L’investissement en ligne de mire
Les dix premières années après le lancement de la SCOP, un important plan d’investissement avait été mis en place pour remettre à niveau l’outil de production qui était alors inadapté et vieillissant. Depuis, ces investissements ne se sont pour ainsi dire jamais arrêtés. Chaque année, ce sont 15 % du chiffre d’affaires qui est injecté. Actuellement, 4,5 millions d’euros sont programmés dans la sécurisation informatique, l’acquisition de nouveaux logiciels, l’aménagement de contrôle par magnétoscopie moins énergivore, l’installation de gestion des copeaux par essorage pour récupérer l’huile ou encore dans la création d’un nouveau bâtiment de 400 m2 visant à mieux gérer les déchets et le stockage. 400 m2 de panneaux photovoltaïques seront d’ailleurs installés sur le toit des nouveaux locaux. Ils ne représenteront que 3 % de la consommation totale mais avec une facture électrique de 690 000 euros en 2023-2024, la moindre économie sera la bienvenue, estime Patrick Gabriel, qui prépare d’ores et déjà son départ en retraite programmé en 2027. Deux ou trois managers vont donc être formés et préparés pour prendre la suite. Chacun présentera son programme et un vote des associés arbitrera. Voilà pour l’organisation bien rodée de la Scop qui montre la voie aux dernières nées du territoire. Un parcours qui doit, en tout cas, donner de l’espoir aux jeunes Scop meusiennes.
A.M.
Qualité de vie au travail et performance industrielle
Entre novembre et fin janvier, deux nouvelles machines (une tailleuse avec un diamètre de 1,6 mètre et une rectifieuse de denture) vont être livrées pour un budget de 2,5 millions d’euros. La direction a choisi d’enterrer l’une des machines pour la mettre à hauteur d’homme et ainsi éviter aux opérateurs de monter et descendre sans cesse. Cet aménagement réalisé par un maçon spécialisé a un surcoût financier, mais un réel gain en qualité de vie au travail.