Droit
Cession d’activité au profit d’une administration : des précisions utiles du Conseil d’État
Une règle bien établie du Code du travail prévoit qu’en cas de cession d’une société, tous les contrats de travail en cours au jour de cette modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. Le Conseil d’État a récemment apporté des précisions lorsque la société est reprise en régie par une personne publique, en l’occurrence une collectivité territoriale(*).
L’obligation de reprise des contrats
La règle est parfaitement connue, car ancienne (première apparition dans la loi du 19 juillet 1928). L'article L. 1224-1 du Code du travail prévoit que : «Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.» Le cas n’est pas le plus courant, mais la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que la circonstance que le transfert d’activité s’effectue au profit d’une personne publique n’a pas pour effet d’écarter la règle de continuité des contrats de travail. Cette règle figure désormais à l’article L. 1224-3 du Code du travail : il appartient à la personne publique cessionnaire qui gère un service public administratif (SPA) de proposer un contrat de travail de droit public aux salariés qui lui sont transférés. Ces dispositions trouvent à s'appliquer en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome. Si ce cas n’est pas commun, il n’en demeure pas moins essentiel dès lors que la perte d’une activité économique autonome peut justifier, en principe, un licenciement pour motif économique des salariés attachés à cette activité. Dans un cas le personnel est licencié, dans l’autre, il est conservé avec contrat de droit public, d’où la délicate question de la définition d’une activité économique autonome.
«Le maintien d’une unité économique», condition essentielle au transfert
Selon le Conseil d’État, constitue une entité économique autonome : «un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie par le nouvel employeur.» Il ressort de cette définition, reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation, que ce n’est qu’en cas de transfert de l’entièreté de l’activité économique autonome que la règle de transfert des contrats de travail vient à s’appliquer. Pour la Haute juridiction administrative, la poursuite de l’activité par le cessionnaire suppose «le maintien d’une unité économique.» En effet, dans ses conclusions sur cette affaire, le rapporteur public note que «si l’activité en cause ne conserve pas son identité ou si elle est démembrée, alors les conditions du transfert prévue par l’article L. 1224-1 du Code du travail ne sont pas réunies.» Et, en l’occurrence, que «certains des salariés ont été repris par le département», qui a également «repris des matériels scéniques», ce qui constitue autant «d’indices de nature à faire suspecter sérieusement un transfert d’activité.» Toutefois, pour les juges du Palais Royal, les «deux des principales missions de l'association (…) avaient été reprises en tout ou partie, non par le département, mais par une autre association et une société coopérative.» Le département n’avait véritablement repris que la partie la plus étroitement liée à sa propre politique culturelle. Dans ces conditions, le Conseil d’État juge que l’opération en cause s’analyse non en un transfert d’une activité, mais en un démantèlement et une réorganisation, en s’appuyant sur différents acteurs. Ainsi, les règles tirées des articles L. 1224-1 et L. 1224-3 du Code du travail ne trouvaient pas à s’appliquer. Dans ces conditions, l’association était en droit de procéder au licenciement économique du personnel. S’il était tout à fait loisible au département d’engager certains salariés de l’association par le biais d’un contrat de droit public, il n’en avait toutefois aucunement l’obligation.
(*) CE, 5 juillet 2023, n° 448572.
Nicolas TAQUET, avocat