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Industrie

Carbo France L’innovation au service de l’outil industriel

Installée depuis 1993 sur le lieu-dit d’Écurey, à Montiers-sur-Saulx, l’entreprise Carbo France, second producteur français de charbon de bois végétal se lance dans la dernière phase de sa future usine 4.0. Une fois validé, l’outil se concrétisera par la construction de son nouveau site, à deux pas de l’actuel. 30 millions seront injectés dans ce projet industriel d’ampleur qui aura nécessité près de dix ans de réflexion et de recherche.

© Laurence Deleau
© Laurence Deleau

Tripler la production pour atteindre 30 000 tonnes autour d’un nouvel outil de pointe pour un investissement de trente millions d’euros. C’est le défi porté par Nadège Simon, la gérante de Carbo France et de ses équipes. Un projet mûrement réfléchi, pensé et amélioré à chaque étape pour cette PME détenue par une famille belge. Meusienne d’origine, la dirigeante a été le témoin de l’évolution du marché du charbon de bois. Si au début des années 2000, cinquante fabricants français étaient recensés, ils ne sont plus que six aujourd’hui pour un secteur de plus en plus réglementé où pèse la question environnementale. Il y a vingt ans, la profession a été confrontée à un appel d’air avec de nombreux clients-GSA (grandes surfaces alimentaires) qui ont choisi de se tourner vers «l’importation de produits de piètre qualité, mais 40 % moins chers que le Made in France», rappelle celle qui est depuis une dizaine d’années présidente du syndicat national de charbon de bois. Si en 2002, les professionnels français assuraient une production annuelle de 80 000 tonnes, ce chiffre est tombé à 50 000 deux décennies plus tard alors que les Français consomment, chaque année, selon la météo, entre 110 000 et 130 000 tonnes, de charbons de bois pour le seul usage du barbecue.

2016 : Le tournant pour le secteur

En 2016, un mouvement contraire s’est opéré avec le retour à la mode du Made in France alors que la déforestation et les productions polluantes africaines ou d’Amérique du Sud commençaient sérieusement à être montrées du doigt par des ONG. Si Carbo France n’a pas souffert pendant cette période de disette avec une production stable de 10 000 tonnes par an, Nadège Simon explique qu’à partir de 2016, elle a pu choisir avec qui elle souhaitait travailler. Avec une usine qui fonctionne en 5x8, 7 jours sur 7 et 11 mois sur 12, impossible d’augmenter sa production. La PME s’est résolue à devenir «importateur responsable» de produits semi-finis achetés dans les Pays de l’Est avec comme conditions, un cahier des charges drastique imposé à ses partenaires. La seule issue prise «par dépit» pour répondre aux demandes des clients avec près de 6 000 tonnes importées, en attendant «un outil de production plus adapté.» Au-delà de la demande GSA, une coactivité s’est développée autour des déchets (poudre ou poussières de charbon) devenus des co-produits précieux avec la montée en puissance du Biochar (1) en agriculture, du besoin des industriels engagés dans la décarbonisation pour éviter les taxes ou encore l’alimentation animale qui représentent autant de nouveaux débouchés.

Consciente des potentialités des marchés de demain et du vieillissement de son unité de production, la PME se tourne dès 2016 vers la recherche avec la réalisation de plan en 2018 puis la création d’un premier prototype en 2019. En quelques années, les équipes dans les bureaux ont été renforcées passant de 4 à 10 personnes dont des ingénieurs. Carbo France a également fait appel à des bureaux d’études internationaux pour créer un four innovant, sachant qu’aucun catalogue n’existe compte tenu du peu de producteurs français. Cinq millions d’euros ont été engagés dans la R&D pour créer la nouvelle usine autour de quatre phases entre 2019 et 2024. Entre 2023 et 2024 ce sont 3,4 millions qui ont été investis «grâce aux soutiens du GIP Objectif Meuse, des fonds européens du Feder gérés par la région et encore du crédit impôt recherche. Sans eux, les PME ne pourraient pas avoir de projets aussi ambitieux», confie la directrice. Toutes ces étapes se sont concrétisées par près de 2 000 essais et autant de modifications et d’améliorations qui visent un seul but : «dérisquer le projet qui se chiffre à 30 millions d’euros.» En moins de dix ans, l’entreprise est passée d’un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros pour 28 salariés à
14,5 millions (grâce à l’importation) pour un effectif de 40.

Prototype désormais validé

Les quatre phases d’études se sont concentrées sur l’amélioration du rendement à l’heure où la matière première tend à se raréfier. Actuellement, 60 000 tonnes de bois verts sont nécessaires pour produire 10 000 tonnes de charbon. «En France, aucun arbre n’est abattu pour la fabrication du charbon, nous utilisons les connexes (déchets) de 60 scieries du Grand Est. Depuis 2014, un complément de bois de trituration issus des forêts s’ajoute pour assurer nos volumes», tient à préciser Nadège Simon. La recherche engagée a porté ses fruits avec une future production qui assurera une réduction de 25 % de la matière première. Demain, il ne faudra plus
6 tonnes de bois verts pour produire une tonne de charbon, mais seulement 4,5 tonnes quand d’autres concurrents en utilisent dix.

Dans le même temps s’est engagée une réflexion sur la dynamique des flux pour réduire la facture énergétique. Une étape essentielle désormais validée qui permettra de diviser par deux la consommation énergétique de la future chaîne de production en continu. Ce sera l’autre grande nouveauté. Actuellement, l’outil fonctionne en discontinu ce qui demande de nombreuses manipulations, circulations et donc des risques pris par des caristes pour assurer chaque étape (sécher le bois/ le carboniser/ étouffer la carbonisation puis la stabilisation synonyme de sécurisation).

Dernière ligne droite

Place à la phase 5 dédiée à la préparation de la matière première. Et pour cause, la production va être multipliée par trois, le besoin va donc être croissant autour des bois connexes. Un travail de recherche va être initié avec le CEA et l’École nationale supérieure des technologies et industries du bois d’Épinal (ENSTIB). Cette ultime étape devrait se terminer au cours du premier semestre 2026. Puis le chantier démarrera en 2027. Initialement, le déménagement devait conduire Carbo France sur le futur Parc’Innov à Bure-Saudron, mais l’avant-projet sommaire annonçait une facture totale de 60 millions d’euros ; impossible à tenir pour la PME. Un plan B s’est donc ouvert avec une opportunité pour le carbonisateur d’acquérir 14 hectares de terrains jouxtant l’entreprise. Désormais propriétaires de 25 hectares, Carbo France devra investir 30 millions d’euros dans sa nouvelle usine. Reste à déposer les demandes de subventions et répondre aux injonctions paradoxales des services de l’État entre la Dreal qui demande une bétonisation sous les stocks de bois en cas d’incendie et le zéro artificialisation nette des sols imposé par la loi climat et résilience 2021. L’ère de la simplification n’a pas encore sonné pour les industriels. Consciente du chemin restant à parcourir, Nadège Simon garde son sourire et un seul objectif : «Être prêt pour fin 2028.» Le compte à rebours est lancé.

(1) Amendement du sol produit par pyrolyse utilisé pour enrichir les terres.

En chiffre

1993
Création de l’usine Carbo France à Écurey

2027
début des travaux de la nouvelle usine

Fin 2028 ,la nouvelle ligne de production devra être opérationnelle

30 millions coût total du projet